Eglise-Wallonie groupe belge membre du RIEH, a fait parvenir au Secrétariat international une lettre ouverte rédigée par Kairos Southern Africa et Kairos Palestine, qui ont leurs origines dans le document Kairos adressé en 1985 par des théologiennes et théologiens sud-africains pour interpeller les Eglises de leur pays au moment où le régime de l'apartheid instaurait l'état d'urgence. Cette lettre condamne la guerre. Cette lettre condamne la guerre menée par Israël contre la population de Gaza et la situation faite par Israël à la population palestinienne dans les territoires occupés.
Le RIEH a pour objectif de promouvoir l’économie humaine, qui porte la vision d’une société où chaque personne et toutes les personnes vivent dans la dignité et une démarche pour y parvenir qui s’appuie sur l’éducation populaire et la démocratie participative.
Manifestement les Palestiniens, de la bande de Gaza ou de Cisjordanie ne vivent pas dans la dignité et c’est insupportable.
Le rôle du RIEH n’est pas de proposer des solutions politiques globales. Il est de soutenir les actions concrètes qui permettent à toute la population de répondre par son travail et sa créativité à ses besoins économiques et d’organiser par la négociation entre toutes les parties des espaces de sécurité et de paix.
En Palestine et en Israël le chemin sera très long. Raison de plus pour s’y engager sans délai en commençant par la fin de l’occupation illégitime et illégale et le respect des droits souverains de deux peuples.
Le RIEH soutient l’appel émanant du dialogue entre le Rev. Frank Chikane, ancien Directeur de l’Institute for Contextual Theology et Chef de Cabinet du Président Thabo Mbkeki et Mgr Michel Sabbah, ancien Patriarche Latin de Jérusalem, deux autorités morales amplement reconnues pour leur action en faveur de la défense des Droits Humains fondamentaux dans des contextes d’apartheid tels que qualifiés par les Nations Unies.
1er novembre 2023
Lettre ouverte conjointe de Kairos Afrique du Sud et de Kairos Palestine aux responsables d'Églises et aux chrétiens des États-Unis, d'Europe et de la grande famille œcuménique.
« Seigneur, mon Dieu, toi qui es juste, fais-moi justice ! » (Ps. 35,24).
Sœurs et frères :
Un génocide contre les Palestiniens de Gaza se déroule sous nos yeux et il n'est pas sans rappeler ce qui s'est passé il y a moins de 30 ans au Rwanda et il y a 80 ans en Europe. De nombreux Occidentaux ont été complices de ces génocides. Nous ne pouvons pas et nous ne voulons en aucun cas laisser cela se reproduire. Il faut l’arrêter au plus vite.
Si vous n'agissez pas pour mettre fin à ce génocide qui est soutenu par beaucoup dans vos pays et qui est encouragé par la fourniture d'armes à Israël pour le mettre en œuvre, vous vous en rendez complices. Ceux dont les gouvernements soutiennent ce génocide ont une responsabilité plus grande et doivent s'assurer que leurs gouvernements y mettent fin.
Nous condamnons toute forme de violence à l'encontre de civils et de toute autre personne, mais il faut reconnaître que cette guerre n'est pas née de rien. Sa genèse remonte à l'occupation illégale des territoires palestiniens, à l'expansion des colonies juives illégales en Palestine occupée, à la négation des droits des réfugiés palestiniens qui voudraient retrouver
leurs anciens foyers, et au siège de Gaza qui dure depuis 17 ans. Et plus récemment à la montée au pouvoir en Israël de groupes fascistes ultra-nationaux et ultra-religieux et au refus par l'actuelle coalition nationaliste et religieuse de droite qui est au pouvoir, de reconnaître le droit inaliénable des Palestiniens à la liberté et à l'autodétermination. Le monde entier a été témoin des violations et des agressions continues perpétrées par des extrémistes juifs, des colons, des membres de la Knesset et des ministres contre des lieux saints musulmans et chrétiens et contre des fidèles, tant à Jérusalem qu’en d'autres endroits, et tout ceci au mépris de la sensibilité religieuse non seulement des Palestiniens, mais aussi de millions de chrétiens et de musulmans à travers le monde, - pour ne citer que quelques-unes des raisons qui expliquent les souffrances des Palestiniens sous le régime israélien d’occupation et de colonialisme.
En 2022, les forces israéliennes d'occupation ont tué 230 Palestiniens : 171 en Cisjordanie, 53 à Gaza, et 6 en Israël, et 44 d’entre eux ont été des enfants. De plus, entre le début de l'année et le 7 octobre 2023, les forces israéliennes d'occupation ont tué un total de 243 Palestiniens. Nous espérons que ces chiffres vous donnent une vue d’ensemble de ce que vit le peuple palestinien. Tout ceci simplement pour dire que ce n’est pas le 7 octobre 2023 seulement que sont venus la douleur, la peine et le chagrin.
Nous savons tous que toutes ces atrocités contre des êtres humains sont contraires à la volonté de Dieu pour son monde. Elles sont contraires également au droit international et aux conventions de Genève. Ce droit et ces conventions ont été mis en place par des puissances occidentales, après la Seconde guerre mondiale surtout, et aucun État n'en a été exclu ou n'a bénéficié d'un statut particulier.
Si l'on confronte tout ce qui vient d’être évoqué au siège total qu’Israël impose à Gaza et au dangereux blocage de presque toutes les voies non violentes, tout être humain tant soit peu raisonnable peut comprendre que la situation allait être explosive. On peut se demander comment les Américains ou les Européens auraient réagi si eux avaient été exposés à une situation semblable à celle qu’a vécue la population de Gaza. L'histoire nous enseigne qu'ils n'auraient pas réagi de manière non violente, et c'est pourquoi nous trouvons extrêmement hypocrites certaines des qualifications que l’on a attribuées aux Palestiniens (comme auparavant aux Sud-Africains).
Les Sud-Africains savent ce que cela signifie que d’être étiqueté comme « terroriste » ou « communiste ». Des étiquettes pires encore ont été apposées sur les Palestiniens par ceux qui se sont rendus coupables des pires formes d'antisémitisme, un fardeau et une responsabilité qu'ils ont fait porter ensuite au peuple palestinien. Dans la pratique, nous
voyons comment les Palestiniens sont terrorisés quotidiennement par les colons israéliens, par les forces israéliennes d'occupation et d’autres milices sionistes. C'est à cause de tout cela que nous dénonçons l'hypocrisie de ces étiquettes qui ne sont imposées qu'à un seul groupe de personnes.
La plupart des Églises d'Europe et des États-Unis semblent ne pas avoir renié leur passé colonialiste et raciste. Et de ce fait, les lunettes à travers lesquelles ils perçoivent ce que nous vivons aujourd’hui sont toujours teintées par leurs péchés de colonialisme et de racisme. Il est important que nous vous y rendions attentifs une fois de plus aujourd'hui, afin de vous en faire prendre conscience. C’est une vision de la pire espèce, incompatible avec Jésus tel que nous le connaissons à travers les Écritures. C’est pourquoi nous vous appelons à un profond repentir.
Car Jésus tel que nous le connaissons et tel que nous le vivons - lui dont nous allons bientôt célébrer la naissance à Bethléem - est magnifiquement présenté par les paroles de la jeune poétesse chrétienne sud-africaine Thandi Gamedze lorsqu'elle écrit :
« Si Jésus vivait aujourd'hui, je veux dire le Jésus brun,
celui qui a grandi en Palestine occupée sous la menace permanente de l'empire romain
avec ses forces armées à l’affût de quiconque oserait s'écarter de la ligne prescrite.
Ce Jésus dont l’arrivée dans le monde a été marquée par la violence,
l'air résonnant des ordres du roi Hérode allié des Romains
exigeant le génocide de tous les enfants de Bethléem.
Si ce Jésus vivait aujourd'hui, il est clair où il serait en route sans doute vers le sud
cherchant son chemin sous les bombes et les pluies de phosphore blanc
pleurant les membres de sa famille et ses amis dont les maisons ont été réduites en ruines
alors qu'ils dormaient à l'intérieur.
Ses pouvoirs de guérison compromis face au nombre de victimes
et les lamentations comme seule réponse possible à tant de dévastations.
Ce Jésus n'aurait pas d'eau à changer en vin parce que l'empire de ce temps
a coulé du ciment dans les réserves d’eau et barré tous les chemins pour y accéder.
Ses capacités surnaturelles seraient mises à l'épreuve dans cette crise humanitaire
parce que les cinq mille affamés sont devenus deux millions entre-temps
et même cinq pains et deux poissons sont difficiles à trouver.
Je suis sûr qu'il aurait peur comme quand il voyait sa crucifixion devenue imminente
vidé de tout espoir face à l'inhumanité de l'empire.
Il se mettrait sans doute à prier comme il l'a fait la veille de son assassinat
« Dieu, s’il te plaît, éloigne de nous cette coupe de souffrance et libère la Palestine ».
C'est dans cette optique, exprimée ci-dessus avec tant de beauté et avec une telle assurance, que nous nous adressons à vous maintenant.
Nous voulons tout d'abord nous tourner vers nos sœurs et nos frères juifs qui ont commencé à dire « Pas en notre nom », et nous prions pour que leur nombre et leurs protestations augmentent. Les gens qui descendent dans la rue à travers le monde sont surtout, aujourd'hui, ceux qui portent la bonne nouvelle de la paix, de la justice et de la réconciliation. C'est vers eux que nous allons nous tourner.
C’est pourquoi nous accusons les Églises des États-Unis, d'Europe et de la grande famille œcuménique de rester étrangement indifférentes aux meurtres des Palestiniens et aux actes de vengeance qui sont perpétrés à l'encontre de nos sœurs et de nos frères palestiniens, et de ne réagir que lorsque des Israéliens sont tués. Vous dites constamment « Paix, paix, là où il n'y a pas de paix ». Pour autant que nous puissions le constater, toute prétention à la paix a été abandonnée depuis longtemps alors que des pans entiers de terre palestinienne ont été volés. C’est pourquoi ces phrases creuses sont un affront non seulement envers nous, mais aussi envers le Dieu de la justice, le Dieu qui a pris le parti des opprimés, des brimés et des marginalisés.
Si nous étions en 1943, les opprimés, les brimés et les marginalisés seraient les Juifs persécutés d’Europe, et nous prendrions leur parti. Mais nous sommes en 2023, et à notre époque ceux qui avaient auparavant été opprimés sont devenus des oppresseurs habilités à briser la nuque des opprimés de notre temps, les membres du peuple palestinien, et ils vont jusqu'à souhaiter qu'ils cessent d’exister. Ils sont bombardés tous les jours par les messages des colons qui leur disent : « Partez en Jordanie ! ».
Nous avons quelque chose à dire, à eux et à vous : Les Palestiniens ne vont pas partir n’importe où, tout au contraire ! Les Palestiniens vont ressusciter de leur crucifixion actuelle et les opprimés du monde entier vont s'identifier au peuple palestinien comme ils se sont identifiés aux Sud-Africains noirs qui vivaient sous un régime d'apartheid. La communauté chrétienne de Palestine est une toute petite minorité souvent oubliée, mais avec l'évêque Tutu nous disons : « Dieu n'est pas un chrétien », Dieu ne se soucie pas seulement de ceux qui se disent chrétiens. Tous les êtres humains, tous ceux qui font la volonté de Dieu sont également aimés de Dieu, qui se soucie de tous.
Les droits humains n’ont pas de frontières de religion, de culture, de classe, de race ou de sexe. Les chrétiens palestiniens sont solidaires de tous les Palestiniens, et ils s'identifient pleinement à eux tous. Le monde d’Occident doit comprendre qu’il met sérieusement en danger les valeurs de la démocratie et les droits humains, que même il les dépouille de toute légitimité, s’il continue sur la trajectoire qui est la sienne actuellement.
Cette lettre ouverte vous est adressée à vous, mais notre espoir réside en Dieu qui est solidaire de son peuple. Dieu vous tiendra pour responsables de vos péchés de commission et d'omission.
Nous plaçons notre confiance en ce Jésus qui a proclamé une Bonne Nouvelle pour les pauvres et les opprimés. Jésus nous rappelle à tous que Dieu n'est pas un Dieu tribal, mais un Dieu qui se soucie profondément de tous les peuples. Ce même Jésus nous remplit d'espoir et de joie, et nous prions de tout notre cœur pour que vous rencontriez, vous aussi,
ce Jésus, et que vous soyez libérés par lui.
Si vos cœurs sont touchés quelque peu par ce que nous vous avons écrit, nous vous appelons à une solidarité profonde et immédiate avec tous les Palestiniens et tout particulièrement avec ceux de Gaza. Nous sommes prêts à discuter avec vous du contenu de cette lettre ouverte.
*Que Dieu vous bénisse !
au nom de Kairos Palestine