Bernard,
Par quoi commencer et comment articuler un propos tant l’émotion nous emporte ?
La rencontre avec toi a été une quête de sens sur l’humain et au-delà de l’humain, et ce depuis le premier jour.
En juillet 1979, alors que je suivais un parcours au Centre de Formation pour le Développement avant de "partir en coopération" comme on le disait à l’époque, un intervenant à l’enthousiasme communicatif se présentant comme Ingénieur-Conseil nous exposait la portée de concepts considérés alors comme étranges tel que l’autopromotion ou que les cultures de contre-saison pouvaient animer et faire vivre la paysannerie africaine.
Déjà Bernard donnait à réfléchir sur le sens d’une démarche de volontariat.
A cette même session de formation, un grand échalas maigrichon était aussi présent, Mamadou Cissokho dont nous savons la présence et la pensée avec nous aujourd’hui.
En 1984, alors que je représentais un partenaire financier, je retrouvais Bernard … et Cissokho pour les concertations de bailleurs des 6S. Bernard nous exhortait alors de ses convictions :
Vous les bailleurs, n’intervenez pas, laissez-nous faire ! Et surtout… Laissez-les paysans faire car ils savent ce qu’ils font !
Là encore Bernard partageait avec force le sens qu’il portait sur les dynamiques paysannes qui émergeaient alors au Sahel.
Et puis, j’ai voulu en savoir plus, j’avais repéré que nous étions originaire de la même région laborieuse du Nord de la France, mais son parcours alors parfaitement atypique, ne manquait pas d’intriguer.
Bernard m’a alors dit : J’ai fait une rencontre qui a bouleversé ma vie et donné du sens à mon action : il s’agit du Père Dominicain Louis-Joseph Lebret, inspirateur de l’approche et de la pensée de l’Economie Humaine et rédacteur principal de l’Encyclique Populorum Progressio, qui a donné de la puissance à la doctrine sociale de l’Eglise après le Concile Vatican 2.
Bernard avait travaillé aux côtés du Père Lebret au Sénégal sur les questions de planification. Bien que n’étant pas de la génération de Bernard, j’avais lu quelques textes de Lebret et ces références me parlaient aussi.
Bernard témoignait ainsi de manière très concrète que des choix fondamentaux de Vie trouvent leur sens dans des références humaines fortes.
Dès lors, j’ai décidé de suivre, à ma façon et en y emmenant ma famille, une voie qui s’est aussi inspirée de celle de Bernard, les hasards de la Vie nous ont aussi amenés en 1989 à Bonneville où nous nous sommes installés. Tu as même été le baby-sitter diurne de notre dernier fils !
Comme pour de nombreuses personnes présentes aujourd’hui, tu as été Bernard un livre ouvert exprimant tes convictions, les mettant en débat et nous partageant tous tes contacts. Dans mes fonctions actuelles de responsabilité au service de l’investissement solidaire vers les pays du Sud, que tu m’as encouragé à prendre, c’est cette même quête de sens inspiré de ces convictions partagées qui trace les décisions institutionnelles que je dois prendre. Merci d’avoir été là, toujours présent lors de nos échanges périodiques.
Enfin, et avec un petit sourire, c’est aussi par ton inspiration que j’ai accepté de prendre la suite du Centre Lebret qui est aujourd’hui le Réseau International d’Economie Humaine.
Bernard, tu es vivant en nous pour très très longtemps, la trace que tu laisses est incomparable.
Parmi tant d’autres, celle à laquelle tu t’es attelée ces dernières années, tel un moine-copiste, de systématiser la parole paysanne n’est pas des moindres et laisse une matière précieuse pour la poursuite de l’action.
Merci pour tout cher Bernard.
Dominique LESAFFRE, 11 août 2022