Nos amis de Madagascar ont publié un communiqué de presse appelant à reporter la reprise de l’école. Le débat public sur ce sujet est vif dans différents pays. Quel éclairage l’économie humaine peut-elle apporter sur ce sujet ?
Michel Tissier, Secrétaire exécutif du RIEH, nous livre son point de vue :
" Il va de soi qu’un des objectifs essentiels de toute société est de s’organiser pour protéger la santé de tous ses membres. Mais c’est aussi un objectif essentiel de permettre que chacun puisse mener une vie digne grâce à son travail et que tous les enfants puissent bénéficier d’une éducation de qualité. Il ne nous semble donc pas qu’il faille faire un arbitrage entre les trois, mais déterminer comment dans chaque contexte local et national on peut au mieux concilier les trois.
De ce point de vue, beaucoup de nos membres en Afrique, en Amérique latine ou en Asie ont dénoncé l’inadaptation des mesures de protection aux conditions de vie des populations vivant dans la précarité. Voir l’article de Michel Azcueta du Pérou ou une déclaration d’intellectuels africains disant : « Reprenant sans souci contextuel le modèle de « containment » et des régimes d’exception adoptés par les pays du Nord, nombreux sont les dirigeants africains imposant un confinement brutal à leurs populations souvent ponctué, lorsqu’il est n’est pas respecté, de violences policières. Si de telles mesures satisfont les classes aisées, à l’abri de la promiscuité et ayant la possibilité de travailler à domicile, elles demeurent punitives pour ceux qui, pour utiliser une formulation répandue à Kinshasa, doivent recourir à « l’article 15 », c’est-à-dire à la débrouille et aux activités dites informelles ». Quelles peuvent être ces mesures de protection tenant compte des conditions de vie réelles de la population ?
Selon l’économie humaine, la réponse passe par l’éducation et la démocratie. L’éducation pour que la population concernée connaisse bien les mesures et la démocratie pour que les décisions soient prises en impliquant les intéressés. Il est en effet très difficile que les " bonnes " décisions soient les mêmes partout et leur efficacité passe nécessairement par l’appel à la responsabilité des populations et de leurs organisations. C’est sans doute une limite de l’appel lancé par nos amis malgaches. Il s’adresse uniquement à l’Etat supposé capable de détenir toutes les solutions. Ne faut-il pas plutôt reprendre l’école tout en en appliquant les meilleures mesures de protection possibles en demandant que les décisions soient prises par des instances locales impliquant toutes les forces sociales concernées.
COVID-19 : REPORTER LA REPRISE DE L' ÉCOLE POUR PROTÉGER NOS ENFANTS
" La société civile rappelle que sa mission première est de préserver l'intérêt général et le bien commun de la population dont les enfants et les jeunes font partie intégrante. Lors de son allocution à la Nation et au peuple malgache, le Président de la République a annoncé la reprise du chemin de l'école pour les élèves des classes d'examen, à savoir le mercredi 22 avril pour les classe de Terminale et de Troisième, le lundi 27 avril pour les élèves de Septième. Bien qu'il ait assuré la prise de mesures d'accompagnement telle que :
- Le respect de la distanciation sociale d'un mètre avec un élève par table ;
- Le port des masques qui seront distribués à tous les élèves ;
- La distribution d'une bouteille de " Covid-Organics " par élève,
des questions et des craintes demeurent et appellent des réponses plus claires afin de rassurer les parents mais également la population en général sur l'adéquation de ces mesures :
- L'état actuel des salles de classes et l'effectif souvent élevé des élèves permettent-ils d'installer un élève par table ? Si non, quels sont les dispositifs prévus?
- Les enseignants sont-ils préparés et suffisants pour assurer effectivement cette nouvelle organisation ?
- Les conditions de fonctionnement des transports en commun telles qu'elles sont envisagées (2 personnes par banc) peuvent-elles garantir les conditions sanitaires protégeant les usagers, dont lesdits élèves ? Quelles sont les mesures prises quant à la décontamination des véhicules de transports en commun ? A quelle fréquence, avec quelle garantie ?
- L'Etat est-il effectivement prêt pour octroyer des masques en nombre suffisant à tous les élèves du public comme du privé, ainsi qu'aux enseignants et au personnel administratif des écoles ? Quelle est la qualité des masques distribués ? D'où proviennent-ils ? Ces derniers sont-ils dans les normes ? S'ils sont lavables, les foyers ont-ils le matériel adéquat pour assurer leur lavage dans les conditions recommandées ?
- La distribution du remède Covid-Organics auprès des enfants suscite de nombreuses questions et réserves, parmi les parents mais aussi parmi le monde de la Médecine et de la Recheche, quant à son utilité et sa pertinence, compte tenu, notamment, du stade des tests cliniques ;
Compte-tenu des conditions actuelles, nous pensons que la reprise de l'école par les enfants malgaches est prématurée.
1) Nous demandons aux responsables des établissements (privés u publics), surtout aux parents de ne pas entreprendre des actions qui pourraient mettre à risque et en péril la vie des enfants / élèves et de toutes les familles de ces élèves. Les examens existeront et il y a toujours un moyen de retarder et de reprogrammer les examens officiels si l'Etat a la volonté de le faire.
2) Nous recommandons au gouvernement de préserver ce que nous avons de plus cher (sombin'ny aina) et de :
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Retarder la rentrée scolaire jusqu'à ce que nous soyons sûrs que tout danger est écarté et que les conditions de déplacement et d'accueil dans les normes de sécurité et de protection soient garanties ;
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Considérer la situation actuelle comme une opportunité de mettre en oeuvre le calendrier du PSE ;
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Utiliser la PNPSE (Plateforme nationale pour le PSE) pour impliquer les acteurs du secteur Éducation avant toute prise de décision. L'administration du remède aux enfants doit notamment être préalablement discutée.
Antanarivo, le 22 avril 2020