"Vous devez être dans la population comme un poisson dans l'eau". C'est dit-on la consigne que Mao donnait aux militants de son parti pour arriver à la prise de pouvoir. Ce mot d'ordre, c'est celui qu'applique l'APDIP par rapport aux paysans de la région de Bongolava, au centre ouest de Madagascar. Pour mener une sorte de révolution, celle qui fait que les paysans non seulement deviennent des professionnels compétents et avisés, mais des citoyens conscients de tous les défis que rencontrent leur société et décidés à agir pour les relever.
L'Association des Paysans pour le Développement Inter-Professionnel s'est créé en 2003. Elle compte aujourd'hui 34 groupes de paysans qui regroupe chacun une douzaine de paysans et de paysannes dans les villages de la région, soit 420 membres.
Chaque groupe réunit des paysans d'une même commune et d'une même filière : riziculture, haricots, porc, pisciculture, élevage de poulets gasy. Le groupe sollicite l'intervention de l'APDIP qui intervient sous forme de formation, de conseil et de suivi. Ces activités sont assurées par des techniciens qui se déplacent sur le terrain.
Quand on parle de terrain, c'est bien de tout terrain qu'il s'agit. Pour se déplacer dans la région, un seul axe est goudronné. Pour le reste se sont des pistes, parfois difficilement praticables, voire même impraticables en saison des pluies. Alors les déplacements des techniciens-animateurs se font en moto. Ils ne rentrent pas chez eux tous les soirs et ils sont hébergés en partageant la vie des habitants. Ce sont eux qui nous ont accompagnés pendant tout notre séjour. Ils connaissent le terrain par coeur, sont connus de tout le monde. Ils sont écoutés pour leur professionnalisme, mais aussi parce qu'ils sont des paysans parmi les paysans, connaissant les mêmes difficultés de la vie quotidienne. Le sel de la terre. Le ferment dans la pâte.
La vraie source du développement, ce sont eux et les paysans qui font l'effort de s'organiser, de se former, de changer leurs habitudes, de s'entraider. Le moteur de l'amélioration de la production et des conditions de vie, c'est la ressource humaine. Voilà ainsi incarné, le sens de l'expression "économie humaine".
Depuis quelques années, l'APDIP mise sur la mobilisation des "Paysans-relais" dans le but d'assurer un service de proximité et de couvrir plus de territoire. Avec le très peu de compétence technique et le niveau de connaissance moyen, ces paysans assurent le relais avec les techniciens dans la limite de leurs talents. Leurs présences et disponibilités pour leurs homologues ne sont pas parfois payés en numéraire, et ce dévouement et empathie assure un progrès d'ensemble assuré et perenne dans l'association.
Car les progrès sont possibles et palpables, avec des techniques simples, à la portée des compétences et des finances des paysans.
Prenons l'exemple des poulets gasy. Il faut créer des poulaillers séparés des habitations, clôturés pour éviter le vol et la transmissions des maladies, équipés de perchoirs, de pondoirs, de mangeoires et d'abreuvoirs. Il faut améliorer l'alimentation, pratiquer les vaccinations, former des paysans producteurs de reproducteurs pour améliorer la race. Toutes techniques à portée des moyens locaux en utilisant si besoin, la micro-finance.
Et les résultats sont là : le nombre d'oeufs récoltés peut doubler, le poids des volailles aussi et le nombre de bêtes vendus être multiplié par quatre.
Même si ces changements font appel à des moyens accessibles avec les ressources locales et peu coûteux, il n'en reste pas moins qu'ils sont difficiles car il faut innover, surmonter les inévitables échecs, faire preuve de détermination. Et le rôle de l'APDIP est ici essentiel. Les paysans lui font confiance, car c'est leur organisation, dirigée par leurs représentants, animés par des personnes qu'ils connaissent, qui ne les reçoivent pas dans leur bureau pour les soumettre à des procédures bureaucratiques, mais partagent leur vie. Cette confiance, cet engagement pour l'APDIP se traduit par la contribution financière qu'ils apportent au fonctionnement de l'association et qui est d'un montant significatif, même si elle ne couvre pas tous les coûts.
L'APDIP est ainsi beaucoup plus qu'un service technique, c'est l'instrument par lequel les paysans prennent en main leur destin.
RANDRIAMAROMANANA Simone
Directrice de l'APDIP