Francisco est agriculteur et universitaire. Il dirige au Venezuela le Centre de développement humain soutenable de l’Université Valle del Momboy dont il est fondateur. Il est membre du RIEH et nous a fait parvenir le texte suivant.
La crise nous oblige à changer drastiquement notre façon de vivre. D’un côté elle nous impose des tâches pour la simple survie, des habitudes que nous n’imaginions jamais adopter. Nous dépensons du temps et de l’argent et passons des moments pénibles en démarches auparavant inconnues. D’un autre côté, nous sommes en train d’adopter d’autres façons d’être, de vivre ensemble, de ressentir et de penser. Les longues heures sans lumière donnent du temps pour être avec nos voisins, converser, méditer ou écouter le silence. Et aussi pour souffrir ensemble. Ou dans la solitude. On pense aux êtres chers qui ne sont plus. Et aux temps d’avant qui n’étaient pas aussi mauvais qu’on le croyait.
Mais il y a aussi des changements qui étaient nécessaires même sans le coup de fouet de la crise, pour des demandes plus profondes. C’est que les démons qui ont changé le Venezuela en enfer ne sont pas tous exclusifs de ce pays tropical. Le monde connaît des changements si grands et si rapides pour lesquels la nature et l’homme ne sont pas préparés. Certes, la réduction de la pauvreté progresse, mais les inégalités s’accroissent, le climat se réchauffe, les forêts rétrécissent et l’eau devient rare. En même temps grandit la codicia, l’autoritarisme et la concentration du pouvoir.
Tout d’abord, il faut nous rendre compte du potentiel de la crise. Des possibilités de nous transformer et de transformer ce qui nous entoure. De nouvelles manières d’être, de vivre ensemble, de sentir et de penser sont nécessaires. Ici et partout. Serons-nous capables de relier la nécessité du changement personnel et local avec le changement planétaire?
Certainement surgiront des personnes bien meilleures que ce qu’elles étaient. Il y en aura aussi de pires, sans aucun doute. Mais ici, dans les circonstances terribles que nous vivons, nous pouvons renaître différents. Au lieu de partir pour un autre pays, nous pouvons transformer le nôtre. Faire du travail, de la modestie et de la solidarité les nouvelles valeurs dominantes. Nous pouvons inventer de nouvelles manières d’habiter les lieux où nous vivons, de vivre avec le voisinage, de prendre soin de l’environnement, de voir et sentir la réalité. Peut-être une manière d’améliorer et d’amplifier les conversations qui naissent dans ces moments de partage obligé sans lumière ni transport, où nous sommes plus humains et nous sentons moins fragiles.
Transformer les états d’âme négatifs comme la peur et l’angoisse n’est pas chose facile. Mais alors qu’elles altèrent la communication, la solidarité et ferment les possibles, nous devons trouver la manière de les transformer en états d’âme positifs qui ouvrent les possibles. Cultiver les communautés et les réseaux, chercher les proches et les amis, faire des choses qui nous plaisent et sont utiles. Faire de notre territoire un lieu de grâce. La crise nous oblige à changer. Déjà nous sommes différents et “tout sera bien”.